Gilda Gonfier : elle veut donner aux esclaves le droit à la parole


Publié le 26{th} mars 2015 dans "" | Rédigé par Baptiste Cordier

Photo Jean-Luc Goubin
Photo Jean-Luc Goubin

Gilda Gonfier est la directrice de la médiathèque du Gosier en Guadeloupe depuis presque vingt ans.

Originaire des Antilles, Gilda Gonfier s’intéresse depuis une dizaine d’année à l’esclavage. Diplômée de Sciences Po Toulouse en 1994, elle veut, par l’écriture, faire ainsi comprendre l’une des pages les plus sombres de l’histoire de sa région.

Après l’abolition de l’esclavage en 1848, 250 000 esclaves ont été libérés en France, principalement en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion. Gilda Gonfier donne la parole à quelques uns d’entre eux dans un ouvrage coécrit avec les historiens Frédéric Regent et Bruno Maillard*. Cette diplômée de Sciences Po Toulouse originaire de et installée en Guadeloupe a réuni des témoignages d’esclaves devant les tribunaux au cours de la première moitié du XIXe siècle. « Ces sources n’avaient jusqu’à présent pas été exploitées, explique Gilda Gonfier. Pourtant, qu’ils soient accusés ou simples témoins dans des affaires pénales, les esclaves évoquent leur quotidien. Je voulais fuir le manichéisme avec d’un côté le méchant maître et de l’autre l’esclave victime. Ici, il s’agit, sans jugement moral, de connaître et de comprendre la condition d’esclave et aussi pourquoi ce système a duré aussi longtemps. »

Parcours
• Juin 1972 : Naissance à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe)
• 1990-1994 : Études à Sciences Po Toulouse et licence de droit, suivi d’une maîtrise de droit en Guadeloupe
• Depuis 1996 : Directrice de la médiathèque du Gosier (Guadeloupe)
• 2006 : Fondatrice de l’association Varan Caraïbe
• Janvier 2015 : Parution de Libres et sans fers : paroles d’esclaves aux éditions Fayard

C’est en découvrant que l’un de ses ancêtres avait lui-même été affranchi qu’elle a voulu s’intéresser à l’esclavage il y a une dizaine d’années. Ses recherches nourrissent des essais mais aussi des fictions : elle a notamment coécrit Le cachot, une pièce de théâtre radiophonique racontant le procès d’un maître ayant donné la mort à son esclave.

En entrant à Sciences Po Toulouse en 1990, Gilda Gonfier se rêvait déjà écrivain. « Boursière, venue d’outre-mer et issue d’une famille modeste, mon père étant pêcheur et ma mère secrétaire, j’ai eu du mal à trouver mes marques en première année en débarquant à Toulouse, se souvient-elle. J’ai redoublé mais je me suis accroché et j’en ai profité pour faire en parallèle une licence en droit, la fac étant juste en face. » À Toulouse, elle passe beaucoup de temps parmi la communauté antillaise, mais reste aujourd’hui en contact avec deux étudiantes croisées à Sciences Po, l’une était devenue avocate à Toulouse, l’autre étant repartie depuis à Shanghai.

Les anciens esclaves ont pris la parole dans le monde anglo-saxon

« Il y a peu de récit de l’esclavage en langue française écrits par les esclaves eux-mêmes », regrette Gilda Gonfier. C’est une pratique plus répandue dans le monde anglo-saxon, avec notamment l’autobiographie de Solomon Northup, Douze ans d’esclavage, adapté l’an dernier au cinéma par Steve McQueen. « À chaque fois, ce sont des histoires fortes, au sens littéraire, mais aussi, évidemment, des témoignages historiques précieux », confie Gilda Gonfier.

À côté de l’écriture, elle s’imagine alors journaliste ou bibliothécaire. Après un mois de stage au quotidien Libération, elle décide de revenir en Guadeloupe. « J’ai fui ! raconte-t-elle aujourd’hui. J’ai pris peur, impressionnée par la vie parisienne et par ce métier stressant. » En parallèle d’études de droit à Pointe-à-Pitre, elle donne des cours de langue dans un maison des jeunes du Gosier, station balnéaire de 27 000 habitants au sud de la Grande-Terre. Elle apprend alors que la médiathèque flambant neuve cherche un directeur. « Je n’avais pas d’expérience dans ce domaine, mais j’ai su que ce poste était pour moi. Alors j’ai passé le concours de catégorie A de la fonction publique territoriale. La préparation au grand oral à Sciences Po m’a beaucoup servi pour montrer une certaine assurance. J’ai reçu à convaincre le jury pour décrocher ce poste. »

De la littérature mais aussi du documentaire

Depuis 1996, elle est à la tête cette médiathèque de 1500 m2, où travaille une équipe d’une quinzaine de personnes. Quand ses deux enfants, âgés de 6 et 8 ans, lui en laissent le temps, elle poursuit ses activités d’écriture. Elle vient de participer à un recueil de nouvelles sur le thème du plaisir féminin**. Elle a également écrit des scénarios et des pièces de théâtre mais aussi préparé des documentaires. « Je suis passionnée de cinéma, confie Gilda Gonfier. Ce genre permet de rendre des témoignages forts et accessibles. » Après des rencontres avec les réalisateurs Sylvaine Dampierre puis Jean Rouch, elle fonde en 2006 l’association Varan Caraïbe, destinée, sur le modèle des ateliers Varan, à former au cinéma documentaire. Une trentaine de courts métrages ont déjà été produits, essentiellement en Guadeloupe, Gilda Gonfier s’occupant principalement de trouver des financements. En plus de ses activités littéraires et documentaires, elle alimente aussi un blog, Le petit lexique colonial, pour montrer que le vocabulaire colonial reste prégnant, aujourd’hui encore, dans les Antilles.

* Libres et sans fers : paroles d’esclaves, coécrit avec Frédéric Regent et Bruno Maillard, éditions Fayard
** Volcaniques : une anthologie du plaisir, sous la direction de Léonora Miano, éditions Mémoire d’encrier

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