Olivier Mauco : pour lui, jouer n’est pas un jeu
Publié le 13{th} décembre 2013 dans "" | Rédigé par Baptiste Cordier
Olivier Mauco, spécialiste du jeu vidéo ici lors du salon
Petits ou grands, ils sont nombreux à rêver d’avoir des jeux vidéo au pied du sapin dans quelques jours. Olivier Mauco, lui, les passent en notes de frais… À 32 ans, il a fait du jeu vidéo son métier, à la fois comme chercheur et comme créateur.
Docteur en science politique ET spécialiste des jeux vidéo, en particulier du carton mondial Grand Theft Auto (GTA), sans oublier concepteur de jeux vidéo. La carte de visite d’Olivier Mauco est atypique. Unique même. « Aujourd’hui encore, je suis le seul chercheur en science politique à travailler sur les jeux vidéo », regrette ce diplômé de Sciences Po Toulouse. Car si les joueurs sont toujours plus nombreux, notamment en France, la littérature, le cinéma ou encore la télévision restent bien plus étudiés. « Avec mon mémoire à l’IEP, Éric Darras m’a fait découvrir et aimer la recherche, se souvient Olivier Mauco. C’est lui qui m’a conseillé de m’intéresser aux objets encore illégitimes, les plus intéressants à analyser car le terrain est encore vierge. » Au départ, c’est aux mangas, autre pan de la culture souvent négligé, qu’il pensait consacrer sa thèse. Finalement, il s’intéresse donc aux jeux vidéo, notamment aux polémiques autour de la violence. « Après chaque drame, le monde du jeu vidéo est accusé, même si ce n’est pas le jeu qui crée le tueur, analyse le chercheur. De la part des politiques, il y à la fois de la fascination, de la méconnaissance et un snobisme certain envers le jeu vidéo, mais on assiste enfin à une forme de reconnaissance. Dans le même temps, les professionnels ont tout fait pour que le jeu vidéo ne soit pas perçu comme un objet culturel car cela leur a laissé une grande liberté, sans lourdes contraintes réglementaires comme pour le cinéma. »
Parcours
• Juillet 1981: Naissance à Toulouse (Haute-Garonne)
• 1999-2003 : Études à Sciences Po Toulouse, suivies d’un DEA en sciences politique à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne
• 2004-2012 : Thèse sur la représentation politique dans les jeux vidéo
• 2010 : Début de son activité de game designer
• 2013 : Chercheur en science politique spécialiste du jeu vidéo et créateur de serious games
Une industrie complexe donc, mais aussi en plein bouleversement. Les nouvelles habitudes de jeux, sur le Web et sur les mobiles, redessinent complètement l’économie du jeu vidéo. Il faut mettre du fond pour séduire les adultes et non plus seulement les adolescents. « La production a été bien trop industrialisée : les jeux se ressemblent car le marketing est omniprésent au détriment de la création, de la recherche de l’originalité », souligne Olivier Mauco. C’est donc loin des jeux de divertissement qu’il s’est lui même lancé dans la conception. Depuis 2009, parallèlement à ses recherches, il est aussi game designer, l’équivalent d’un architecte : à lui d’imaginer une logique de jeu, le but à atteindre et les règles à respecter. Il travaille sur des serious games, des jeux à la fois sérieux et ludiques. Au CNRS par exemple, il a conçu un jeu autour du marché de l’électricité : le joueur est chargé d’installer des éoliennes en négociant avec les riverains tout en respectant une complexe législation. Plus récemment, il a travaillé avec le journaliste David Dufresne pour créer Fort McMoney, un jeu vidéo-documentaire sur le sable bitumineux au Canada. « À chaque fois, il s’agit de traduire des données complexes en un jeu plaisant et pédagogique », explique Olivier Mauco
À Sciences Po Toulouse, il ne se voyait pourtant pas faire carrière ni dans la recherche, ni dans les jeux vidéo. Il s’imaginait volontiers au ministère des affaires étrangères, journaliste ou encore éditeur… Avant de déchanter quelques stages plus tard, notamment dans une maison d’édition au marketing et dans un quotidien régional à Poitiers – « dans le nord » (sic) s’empresse de préciser ce natif de Toulouse. Ce sera donc la recherche. Avec une thèse de plus d’un millier de pages, dont il a déjà sorti un livre*, avant un second sous peu**. « J’ai toujours voulu écrire, raconte Olivier Mauco. Mais l’écriture scientifique reste contre nature pour moi. Je préfère les schémas, définir des modalités d’interactions ou des objectifs. Petit, je m’amusais déjà à imaginer des niveaux de jeux. Passer par Sciences Po m’a permis d’apprendre à analyser le monde, comprendre très vite les enjeux : c’est ma plus value aujourd’hui en tant que créateur de jeu vidéo. » Quand il n’imagine pas de nouveaux serious games, Olivier Mauco enseigne dans des écoles spécialisées, dans le jeu vidéo évidemment, mais aussi à la Sorbonne pour des cours plus classiques de science politique.
Game over pour les clichés
Oubliez les clichés sur les joueurs de jeux vidéo… D’après le Syndicat national du jeu vidéo, un Français sur deux joue régulièrement. Le joueur est plus souvent un trentenaire qu’un adolescent, et même majoritairement une joueuse puisque les femmes représentent plus de la moitié des joueurs. « Des jeux comme Candy Crush ont fait un bien fou, décrypte Olivier Mauco. Voir des femmes de 50 ans jouer sur le portable, c’est totalement nouveau. Aujourd’hui, le joueur ne se cache plus. Les paria des années 1980 sont devenu les branchés des années 2010. »
De son passage à Sciences Po, il garde le souvenir d’une vie associative très riche. « J’ai cofondé la chorale, s’amuse-t-il. J’ai bien aimé qu’on fasse si vite confiance aux étudiants. » Il est toujours en contact avec plusieurs camarades de sa promotion 2003, parmi lesquels un journaliste, deux thésards, une communicante et un expatrié en Argentine, qui avait passé un semestre en mobilité avec lui dans une université de droit. « Les liens restent forts, mais on a du mal à se voir très souvent », regrette ce jeune papa bien occupé à la maison. Son fils aura d’ailleurs une tablette pour enfants au pied du sapin. Pour jouer, évidemment, mais le chercheur-créateur de jeux promet de contrôler le temps que son garçon passera devant l’écran, « comme je le fais avec les livres ou les dessins animés » précise-t-il. Dans quelques années, il partagera sans doute sa passion pour Grand Theft Auto, notamment GTA IV sorti en 2008, le blockbuster au centre de sa thèse « C’est un jeu divertissant mais aussi une critique du rêve américain, détaille le chercheur. Et je suis persuadé qu’en revisitant les années 2000, les historiens considéreront que ce jeu est l’œuvre culturelle majeure de la décennie, romans et films compris. »
* GTA IV, l’envers du rêve américain, éditions Questions théoriques
** Jeux vidéo : hors de contrôle ?, à paraître aux éditions Questions théoriques